Lorsque l'IMMENSE est maté par le minuscule, vient le temps de prendre du recul.
A l'heure d'une grande ouverture sur le monde, via les nouveaux systèmes de communication, les échanges commerciaux internationaux, à l'heure où ses quatre coins sont hyperconnectés, de façon continue et en instantané, l'humanité semble se perdre.
Les relations apparaissent de plus en plus éphémères, superficielles, on dit parfois de l'ordre de la "consommation". Le langage s'étiole, s'absente, les écrans élaguent tantôt le rapport au corps, tantôt la parole : l'écrit vient la remplacer, mais en général non pour la sublimer. On synthétise les mots, on les mutile volontiers, on envoie un dessin, une vidéo...
L'échange voit naître toujours plus de relations de domination, dans lesquelles la communication, au sens d'une considération mutuelle, n'est pas. La considération de l'autre sous-entend le respect de ses besoins, mais aussi de sa valeur.
Dans un monde restructuré, ayant fait évoluer les politiques du "public" à celles du "privé", il a été question d'investir dans la machine, les services autonomes afin de moins "dépenser", on a remplacé le "personnel" par de l'"impersonnel"... Dans un monde où des entreprises ont cherché à "s'implanter" partout, exister tout le temps, "pour tous", sous-tendant des exigences titanesques en termes de techniques, d'investissement, l'individu a paradoxalement été annihilé : en tant que partie, lorsqu'il s'agit de techniciens, devant être réduits à un élément de l'entreprise, étant de moins en moins vus, jusqu'à être niés dans leurs propres besoins humains ; en tant que receveurs du service, ou voisins, car plus la production est grande et doit répondre à des besoins à grandes échelles, plus l'on peut négliger, pour le faire, certains aspects comme la qualité, jusqu'à fermer les yeux sur la nocivité directe ou indirecte, pour l'homme et/ou la planète, de la productivité.
C'est sur fond d'un tel contexte que l'on est appelés aujourd'hui à nous "confiner". A l'heure où le monde est en fusion permanente, virtuelle et symbolique, il est désormais question de distance, de "sans contact" maximum, au niveau physique. C'est sur fond de menace de contamination des uns par les autres que l'on acte les "gestes barrières". Afin de maximiser la procédure, nous bâillonnons notre bouche et notre nez, soient les orifices socles d'échange d'air entre l'intérieur de notre corps et l'extérieur, entre l'oxygène et le dioxyde de carbone qui constituent, par leurs mouvements respectifs, une des bases précieuses de notre survie. Celle-ci est sensiblement déterminante, rapidement menaçante si stoppée dans sa fonction. Elle se révèle aujourd'hui, avec une force sans précédent, une ouverture traître qui, par l'introduction d'un nanoscopique corps étranger, extrêmement mobile, "contagieux", potentiellement très "envahissant" bien qu'invisible, peut nous déstabiliser jusqu'à nous entraîner vers la mort ou inversement nous faire porter atteinte à d'autres de cette façon. De façon passive, l'autre devient un danger potentiel pour soi et de la même façon, chacun devient un danger potentiel pour l'autre. Pour nous protéger mutuellement, nous nous mutilons ainsi, partiellement, quelque temps.
Le monde a changé économiquement. L'économie d'archipel dressant une nouvelle carte du monde, semble imitée par une "communication d'archipel". A l'heure du confinement, le contact, le lien, le soin sont appelés à se faire de façon informatique. Le refus ou l'impossibilité de suivre sont ainsi étroitement liés à une forme d'exclusion. Quant à ceux qui suivent, ils sont certainement en train de s'exclure, d'eux-mêmes. Car cet entremêlement permanent avec l'autre, l'extérieur, annihile les limites de soi, la séparation de l'intime et du social, du domicile et du travail, du moi réel et du moi imaginaire... Or, la pensée propre, l'imagination, la création sous-tendent la possibilité d'une certaine dose de solitude, d'un certain temps de "silence". A l'instar d'un confinement physique pourrait-on redonner place, ou davantage encore, à ce qui s'apparenterait à un "confinement psychique", un arrêt momentané, plus ou moins long, de communication avec l'extérieur physique et virtuel, comme l'exigent déjà la méditation, la prière, le travail psychanalytique... La prise de conscience de soi, son ressenti y sont en jeu ; associés à l'exorcisme du sentiment de "vide" dévastateur, ils participent d'un mieux-être n'étant plus à la course d'un autre pour se combler, qu'il soit une personne ou un objet... En somme, il serait opportun de saisir l'occasion de ces nouvelles frontières afin d'aller explorer ou réexplorer de nouvelles dimensions de soi, de la planète que l'on constitue déjà nous-mêmes. Ainsi mieux exister soi-même, permet de mieux appréhender l'existence des autres ; mieux s'écouter, permet de mieux écouter les autres, ainsi mieux les considérer, les respecter et, à leur tour, devraient-ils mieux se respecter, nous respecter... Tout cela pour, au final, vivre mieux. Novembre 2020